10.11.11


41€ pour une poignée de psychotropes, la critique

Alors que "50 Francs pour tout", la prochaine bande dessinée de Davy Mourier, commence gentiment à dresser les fesses aux rangs des starting blocks, revenons sur le précédent ouvrage retraçant la vie cafardeuse du plus dépressif des Peter Pan : "41€ pour une poignée de psychotropes".

Publié en Janvier 2011 aux éditions Ankama/ Adalalie, "41 euros" a fortement contribué à la notoriété des récits de son auteur. Un peu moins à la reconnaissance de son art à en croire la critique. Mais il ne fut pas pour autant boudé par les fans, qui l'accueillirent avec engouement lors de sa sortie. 41 euros est la troisième bande dessinée de Davy Mourier et réutilise la même recette que ses grandes sœurs. Pas les grandes sœurs de Davy hein, celles de sa BD… À savoir, la réadaptation des strips et illustrations publiés sur son blog Badstrip.net, de façon retravaillée et mis en scène. Tout ceci accompagné d'un amalgame de montages, collages, gribouillages et griffonnage. Le tout nous baladant avec entrain dans les mésaventures personnelles et pensées sombres de l'auteur, par le biais d'un humour noir décadent et d'une mise en page rythmée. Ce journal intime un peu décousu nous est présenté dans un format plutôt original, puisqu'il reprend le style bon enfant des petits cahiers Oxford à spirales. Un objet original, ergonomique, et qui sent bon le cartable.

À première vue l'histoire a l'air touchante. Un homme au cœur brisé se retrouve à vivre à travers le fantôme de son ex dans la douleur d'une rupture dont il n'a jamais fait le deuil. "Je détestais l'odeur de tes clopes… et maintenant, elle me manque" Une séparation lancinante, à laquelle viennent s'ajouter de nombreuses remises en question sur les raisons de son existence, une phobie de la mort et une peur de vieillir étouffante. Il entame alors une thérapie régulière auprès d'un psychanalyste, chez lequel il tente d'apprendre à apprivoiser ses émotions et à affronter les obstacles du destin. "Quand j'étais gosse, je rêvais de faire de la tv et de la bd… maintenant que je fais de la tv et de la bd, je rêve d'être un gosse… le monde des adultes ne me convient pas !" L'histoire d'un homme foutrement incapable de donner un sens à sa vie.

Le dessin n'est pas d'une qualité époustouflante, des silhouettes géométriques dynamisées par quelques ellipses, une panoplie d'expressions faciales découpées à la hache… Un style facile, facile à caser, facile à décliner, volontairement salis et raturé qui masque peut être le manque d'assurance du geste. Mais c'est justement là qu'on l'apprécie. En effet, qui n'a jamais dessiné au lycée ces petits personnages aux airs contrariés dans le coin d'une feuille de cours pour se décharger d'une colère contenue. Les miens étaient toujours accompagnés d'une petite bulle insultant le prof. Et quel style graphique pouvait être aussi bien représentatif de la vie d'un ado attardé, que celui d'un ado attardé ? Un parti pris assumé et assuré. On regrettera cependant les backgrounds copiés/collés à répétition sur les strips. Laissant comme transparaitre une impression de "flegme" même si l'approche en est tout autres soyez en sur. Le style de Davy est malgré cela très expressif, et plein de sentiments. Il ne nous cache rien, il est vrai, personnel, transparent et sincère. Une vraie volonté de s'exprimer visuellement.

Lorsque l'on termine 41 euros, on se sent un peu mal à l'aise… Comme un peu confus d'avoir pénétré si profondément la vie de Davy, et d'en avoir découvert les recoins les plus sombres et les plus intimes. On sent que derrière un humour absurde se cachent de vrais démons. "Je veux en finir une fois pour toute ! Est ce que tu m'aimes ? Un coup pour oui. Deux coups pour non" dit- il dans une illustration le représentant sous le le joug d'une arme à feu tenue par "elle". Alors on se dit, "oui, c'est vrai, je m'y retrouve un peu, il y a un peu de moi dans tout ce qu'il raconte, moi aussi je ressens ça parfois. La vie c'est moche des fois, à quoi ça sert ?" Mais heureusement, la vague d'humour noir ambiante nous rappelle qu'il ne s'agit que d'une petite pisseuse qui s'efforce de faire sonner des phrases, pour exorciser un mal qui la ronge, alors qu'elle se noie dans un verre d'eau. Une attitude de poète maudit qui nous fait rire, malgré lui. J'ai une profonde admiration pour l'artiste et pour son œuvre, mais je dois bien avouer que certains petits intermèdes pompeux m'on vraiment gonflé ! Rah quel dommage ! Mais après tout, relativisons, comment en vouloir à un type qui un jour s'est dit "tiens je vais tellement mal et je me sens tellement inutile que je vais utiliser cette souffrance pour faire rire les gens"... Avouez qu'il faut du courage.


Pour conclure, je dirais d'un point de vue tout à fait subjectif que 41 euros pour une poignée de psychotrope a... déjà d'une part un nom trop long et d'autre part un réel intérêt thérapeutique. Non, pas comme vous le pensez. En fait voilà, personnellement, je n'ai pas vraiment tiré de leçons concrètes de ces récits, ni de remise en question, non, mais une chose bien plus importante : de l'ambition. Et pour avoir eu l'occasion de rencontrer l'auteur, je peux aujourd'hui affirmer que Davy nous donne du vrai, de l'authentique. Il n'est peut être pas le père de la bande dessiné, mais le fils abandonné au milieu de nul part (en Ardèche plus précisément) qui a su, malgré ses dires, grandir, par ses propres moyens, et se faire une place dans cet univers. C'est pourquoi n'achetez pas cette BD, car si Davy va mieux, j'ai bien peur que son art déchoie.




Et bien quoi ? Vous pensiez vraiment que je m'appelais Haruko ? Bon ça reste entre nous.

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